Là tout à coup, en cette nuit blanche où l’esprit avance à petits pas, leste comme un funambule, sur le fil de la vigilance, il m’apparaît comme une évidence éclatante que le trajet de la quête ne consiste en fait qu’à simplement reconnaître le vide comme étant plein.
Car au fond du vide de soi-même, qui fait tant peur au début, même si on ne le sait pas consciemment, se cache un cœur qui palpite au rythme d’une autre vie.
Tout l’art d’une pratique silencieuse consiste justement à savoir se mettre à l’écoute de ce cœur aux imperceptibles battements.
Et puis plus tard, lorsque l’oreille s’est un peu aiguisée, lorsque la vie s’est un peu affinée, lorsque le goût à vivre la vraie vie s’est un peu raffiné : alors ce qui était ressenti comme vide, est perçu comme plein.
Le plein avait toujours été là, mais il était recouvert par le bruit du moi qui, vide ou plein, restait toujours le moi.
Le moi, plein de moi ou vide de moi, c’est toujours moi qui fait du bruit et qui empêche de reconnaître le vrai vide de soi comme plein du Soi.
Il ne s’agit en fait que d’éveiller nos sens ou d’autres sens à percevoir l’essence derrière le bruit de l’existence.
On s’aperçoit alors que ce que l’on cherchait en soi avait toujours été là, mais qu’on ne le savait pas ou qu’on ne pouvait pas le voir.
On cherchait, cherchait encore et encore le Grand Sens, mais ce n’était en fait qu’une manière d’aiguiser les sens permettant de percevoir cette essence.
Quelle affaire, quelle aventure que celle où ce que l’on cherche se trouve déjà là et qu’il ne s’agit que d’affiner la prise de conscience d’être, pour que l’Etre de conscience soit connu comme Etre en soi
et non plus comme Etre à chercher !
La quête ne consiste en fait qu’en la découverte de l’illusion de mon désir, du désir d’autre chose que ce qui est là
Lorsque toute la tension à chercher se retourne en attention à regarder, alors ce qui était attendu est vu comme ayant été masqué par la tension à regarder ailleurs.
L’ailleurs est toujours un obstacle à la perception de la perfection de l’instant.
Un jour pourtant, la force du mouvement vers ailleurs se transforme en force du mouvement vers dedans, puis plus tard en force d’immobilité.
C’est alors que la force libérée du mouvement devient libre Voir et permet de percevoir ce mouvement lui-même.
C’est encore la force libérée du mouvement devenu inutile ou vain, qui permet de prendre conscience du Soi en soi, englobant tous les "moi", " non- moi", dans une vaste et même plénitude de soi sans moi.
Alors on comprend que cela même qui nous faisait chercher, était cela même qu’il nous fallait trouver.
Quelle aventure quand même que celle où le chercheur doit comprendre que ce qu’il cherche n’est que lui-même masqué par sa propre recherche !
Lorsque la recherche s’arrête, le chercheur est alors vu comme l’objet même de sa quête.
Qu’a-t-il donc appris à chercher ?
Rien, sinon qu’à goûter désormais ce qui est sous son nez. Hélas, cette simple constatation peut prendre des années, des années-lumière, cela va de Soi.
Alors comment imaginer que cette chose si simple à comprendre soit si dificile à réaliser ?
Simplement parce que le moi a toujours été habitué à faire des pieds et des mains pour tout et que cette démarche-là se situe au contraire dans le non faire du corps et dans le non faire de l’esprit.
Mais le plus drôle, c’est de constater que lorsque cela est vu, c’est souvent dans un moment où l’on est persuadé de perdre son temps.
Je veux dire que lorsque cette prise de conscience soudaine arrive, c’est souvent dans un moment où l’on se pensait loin de ce que l’on a coutume d’appeler l’essentiel.
Tout à coup, pourtant, quelque chose se met à sourire en soi lorsque l’on s’aperçoit que l’essentiel est partout.
Puis, c’est le grand éclat de rire de la quête !
Si l’attente était nécessaire, le lieu de l’attente n’était pas forcément celui que l’on croyait.
Quelle aventure quand même que celle d’une attente qui se transforme en attention !
La prise de conscience de la vanité de l’attente est alors la cerise sur le gâteau de la quête.
C’est encore, pour reprendre une autre image : le bouquet final.
Lorsque le feu d’artifice de la vie s’arrête, au milieu de la nuit vide de l’âme, une autre vie surgit : celle de la vie sans artifice.
La vraie danse commence quand la fête du moi est finie, au faîte de sa désespérance de voir arriver l’objet de son attente.
Quelle est drôle l’aventure d’une vie qui consiste, premièrement à vivre sans savoir, puis à savoir sans voir, puis à imaginer que la vraie vie est ailleurs, pour enfin arriver à cette toute petite constatation que la Vie est partout !
C’est évident après coup, encore fallait-il le voir, ou le savoir !
On nous l’avait pourtant si souvent dit, mais au fond, on ne voulait pas le croire !
Un peu plus tard, on s’est mis à le croire, mais un peu trop et parce justement on s’efforçait de le voir, on ne voyait rien du tout.
Et il fallut encore beaucoup de temps pour découvrir que la vie dans sa plénitude n’était en fait ni dans le vu, ni dans le perçu, mais au cœur même de son propre vide plein d'un autre regard.
Après avoir été saisi par toutes ces évidences, l’auteur de ces lignes "jura, mais un peu tard", comme dans la fable bien connue, "qu’on ne l’y prendrait plus".
Nil
Publié dans la revue 3ème millénaire n° 57